Printemps 2023

Acheter le pdf n°57 sur scopalto / Acheter des contributions au détail sur Cairn

L’Expérience esthétique

– Editorial. Quelques hypothèses sur expérience l’esthétique et sur l’art, par Vincent Citot

Entretien avec Elsa Vettier, par Charles Bobant

– Métamorphoses de l’expérience esthétique, par Charles Bobant

– Ambiance et paysage. Expérience mersive et expérience esthétique, par Bruce Bégout

– Entre inexpérience esthétique et expérience non esthétique, par Bruno Trentini

– L’expérience esthétique à l’épreuve de l’égarement labyrinthique, par Justine Prince

– Adorno et l’expérience esthétique, par Lucie Wezel

Les Livres Passent en Revue

– Détecter les fissures (à propos de Rouvrir des possibles, de François Jullien), par Baptiste Jacomino

– Notices sur quelques publications récentes et ouvrages envoyés à la rédaction

Hors Thème

Entretien avec Claude Romano – La phénoménologie en dialogue avec la philosophie analytique, par Petr Prášek

– Comment les philosophes deviennent-ils des rois ? Notes sur un chapitre de Tocqueville, par Adrien Louis

Editorial du n°58

03/12/2022

Editorial

Quelques hypothèses sur expérience l’esthétique et sur l’art

Vincent Citot

               Au sens courant, avoir une expérience esthétique c’est faire l’épreuve du beau. Autant qu’on puisse savoir – grâces aux données des diverses sciences humaines et de l’archéologie –, aucun peuple ni aucune culture au monde n’est tout à fait étranger à ce sentiment. Quand on n’est pas sensible à la beauté des choses, on ne dépense pas inutilement son énergie à ornementer des cavernes, des outils, armes, pots, habitats, vêtements et coiffes. Or aucune société au monde n’ignore l’ornementation, quel qu’en soit le support – pierre, bois, peau, os, tissu, métal ou digital. Les plus vieilles parures connues à ce jour remontent à 142 000 ans[1]. Quand on n’est pas sensible à la beauté des choses, on ne dépense pas non plus son temps et son argent, on n’use pas ses semelles et ses jambes, à randonner. Qu’est-ce que randonner, sinon disperser de la chaleur et produire du CO2, sans autre objectif que le plaisir de la marche dans un cadre esthétique ? Or les promeneurs-randonneurs affluent du monde entier pour contempler les merveilles de la nature – Grand Canyon du Colorado, Mont Fuji, Chutes du Niagara ou encore sommets alpins. Bref, il semble que l’expérience esthétique soit une expérience universelle et intemporelle (ou presque), en ce sens qu’aucun groupe de Sapiens connu, dans l’espace et dans le temps, ne semble y échapper.

               Bien entendu, on peut dire que devant le même paysage, les individus et les groupes ne ressentent pas exactement la même chose, car la psychologie de chacun, l’âge, le sexe, la classe sociale, la culture et l’époque importent. Et la langue peut exprimer de multiples façons les sentiments esthétiques, ce qui indique leur complexité et leur diversité. Le joli n’est pas exactement le beau, qui n’est pas exactement le sublime, le grandiose, le merveilleux, le mignon, etc. Mais toutes ces tonalités affectives se répartissent sur une même palette, qui est l’expérience esthétique, c’est-à-dire l’expérience de la beauté en un sens large et non technique. On peut faire autant de distinctions que l’on veut, entre beauté d’un visage, d’un corps, d’un dessin, d’un paysage, d’un chant, d’un geste (technique, sportif, moral), d’une ville, d’un poème, d’un vase, d’un ciel… in fine, tout cela peut être dit beau.

               Qu’un sentiment ait une telle universalité et extensivité est l’indice qu’il remplit une fonction essentielle pour l’homme. Un peu comme la peur, le désir sexuel, le dégoût, la fatigue, la soif et la faim. Si ces sentiments sont universels, c’est parce que ceux qui ne les ressentaient pas n’ont pas eu de descendance – car ils ont été dévorés par un prédateur faute d’avoir peur, sans partenaire sexuel faute d’avoir du désir, empoisonnés faute d’avoir du dégoût, etc. On pourrait donc faire l’hypothèse que le sentiment esthétique remplit une fonction évolutionnaire. Il nous rend désirables les personnes fertiles et en bonne santé, les lieux propices à l’installation d’un campement et les objets travaillés manifestant des aptitudes rares chez un partenaire social – savoir-faire, maîtrise, intelligence, patience, accès à des matériaux précieux. En somme, la beauté fonctionnerait comme un système de fléchage : elle indiquerait ce qui est bon pour notre vie et notre reproduction.

               Les objections affluent : en quoi la contemplation d’un canyon ou d’un désert, c’est-à-dire de lieux dangereux, serait-elle propice à la vie et à la reproduction ? Ne peut-on pas trouver beaux des visages ridés et usés par le temps ? Des ruines, des terrains vagues, des prédateurs, la nuit étoilée et autres choses qui n’ont apparemment rien à voir avec la théorie de la sélection naturelle ? Il est vrai qu’un réductionnisme étroit n’apporte aucune lumière ici. Mais il faut aussi considérer qu’une des propriétés essentielles de l’humanité est de détourner des programmes psychologiques issus de l’Evolution. Par exemple, le désir sexuel a une fonction évolutionnaire, mais l’on peut désirer hors du cadre reproductif. Le plaisir gustatif nous incite originairement à manger ce qui est bon pour notre organisme, mais on peut aimer partager un repas sans avoir faim et sans nécessité de survie. Les exemples de « détournement de sélection naturelle » abondent. Le sentiment de beauté en fait partie. Son universalité pourrait s’expliquer par l’histoire évolutionnaire, mais sa relativité dépend d’autres facteurs.

               Parmi ces facteurs explicatifs complémentaires figurent en bonne place les conditions socio-économico-culturelles. Le programme réductionniste est, à ce niveau également, à la fois éclairant et limité. Une société et une culture données trouvent « beau » ce qui manifeste leurs idéaux et donne chair aux valeurs qu’elles promeuvent. Or ces idéaux et valeurs doivent correspondre de près ou de loin à des besoins sociaux, et faciliter la perpétuation et la prospérité des sociétés en question. Car, selon un raisonnement déjà appliqué à l’espèce humaine, les sociétés dont les valeurs mettaient en danger leur propre existence n’ont pas persévéré dans leur être, ont périclité, ont disparu[2]. Ainsi, chaque époque et chaque culture donnerait à voir une architecture, un art et éventuellement une littérature qui traduiraient, sous certains aspects et indirectement, leurs besoins sociaux. Indirectement, parce qu’aucune société ne projette des valeurs esthétiques par effets mécaniques de conditions socio-économiques. De même que notre espèce pratique le « détournement de sélection naturelle », les agents sociaux font du « détournement de mécanismes infrastructurels ». On ne peut pas déduire du besoin sociopolitique d’orthodoxie la beauté figée des icônes orthodoxes, pas plus que les œuvres romantiques du XIXe siècle d’une société basculant dans la révolution industrielle et l’individualisme. La sensibilité esthétique correspond aux idéaux d’une société donnée à une époque donnée, mais la formulation de ces idéaux et leur traduction esthétique ne s’explique pas par des lois sociologiques simples.

En effet, ce ne sont pas des « sociétés » abstraites qui créent des œuvres et ressentent leur beauté, mais des personnes singulières, avec leurs goûts, préférences et créativité propre. Après être passé du niveau de l’espèce à celui de la société, il faut descendre à l’échelle individuelle. A nouveau, le réductionnisme est partiellement explicatif. N’est-il pas vrai que chacun trouve beau ce qui va dans le sens de ses dispositions psychologiques (aspirations, désirs, tempérament) ? Nous apprécions esthétiquement ce qui nous conforte dans notre être, nos schémas mentaux et nos valeurs. Il est rare de faire aimer ceci ou cela à quelqu’un qui s’y est d’abord montré hostile, et inversement. Et pourtant, il n’est pas moins vrai que les goûts s’éduquent et que la complexité des sentiments esthétiques n’est pas explicable d’une façon linéaire par le génome ou la chimie cérébrale. Chacun est capable de faire quelque chose de ce que ses gènes font de lui, de sorte que nos expériences esthétiques et nos jugements de goût ne se font pas sans nous, dans l’irresponsabilité génético-neurologique. Pas de « détournement de cerveau » à proprement parler, certes, mais néanmoins, ce n’est pas « mon cerveau » qui juge et ressent, c’est moi.

Au total, que l’on se place au niveau de l’espèce humaine (Homo estheticus), de la société ou de l’individu, et que l’on cherche à expliquer l’expérience esthétique par des causes sous-jacentes ou des actions émergentes, une thèse résiste et subsiste : nous trouvons beau ce qui a de la valeur pour nous – en tant que spécimen, agent social ou personne singulière. La beauté, c’est la valeur incarnée dans la perception sensible, la valeur rendue perceptible, la valeur perçue. Tout ce qui a de la valeur est susceptible d’être esthétisé, et réciproquement – un cours d’eau qui descend de la colline, un idéal (une cathédrale et sa symbolique), un artefact (un propulseur magdalénien sculpté), une action morale (un acte héroïque), une réalisation technique (la prouesse d’un acrobate) et finalement l’intelligence elle-même (un théorème mathématique). Tant que nous serons capables de valoriser et de percevoir, d’une part, et de rendre perceptibles des valeurs, d’autre part, il y aura pour nous de la beauté.

On appelle couramment art (vs artisanat) la capacité de produire artificiellement (vs naturellement) du beau, c’est-à-dire de susciter l’admiration via la perception (vs l’intellection pure) d’un artefact ou d’une performance (sonore, gestuelle, etc.). Des bifaces acheuléens[3] aux œuvres les plus contemporaines, l’art répond à ce critère d’admiration-valorisation par la perception. Le plus souvent, l’art associe beauté et fonctionnalité : esthétisation de quelque chose qui a une finalité quelconque – religieuse, politique, morale, cathartique ou autre. On ne peint pas au fond des grottes paléolithiques de l’Ardèche pour donner un musée des beaux-arts aux membres du clan ; on ne construit pas les pyramides de l’Ancien empire pour embellir la « sky line » de Memphis ; ni les temples d’Ellora en Inde pour le plaisir désintéressé des yeux. En général, esthétiser, c’est rendre attrayant ce que l’on veut promouvoir. L’esthétisation et le maquillage répondraient ainsi au même objectif : rendre désirable, séduire, donner du plaisir (à l’œil, à l’oreille) pour accélérer l’accomplissement d’une fin (amoureuse, religieuse, politique ou autre). L’esthétisation est une incitation, un facilitateur, un accélérateur – ce qui n’ôte rien à l’intensité ni à l’authenticité du sentiment correspondant.

L’histoire enregistre deux exceptions à cette règle : l’art qui voudrait n’être que beau, sans lien avec une fonction quelconque, donc parfaitement autonome ; l’art qui voudrait se passer du beau, au nom d’une autonomie supérieure encore. C’est le cas d’une partie de[4] ce qu’il est convenu d’appeler « l’art contemporain »[5]. Mais en rompant avec la beauté, celui-ci semble retrouver, paradoxalement, la fonctionnalité anthropologique de l’art que les « beaux-arts » et « l’art moderne » avaient mise à distance. En effet, la beauté a toujours été – pour les outils, habitats, corps, chants religieux, gratte-ciel… – une sorte de supplément d’âme ; si l’on ôte la dimension esthétique, il reste, à l’état brut, l’usage originaire : poterie pour manger, poignard pour chasser, maison pour s’abriter et objet de prestige pour briller en société. En prenant congé du beau, « l’art contemporain » ne fait que rendre manifestes ses fonctions – stratégies sociales de distinction et prestige de la muséalité, provocation politique, dénonciation morale, amusement ironique ou encore réflexion conceptuello-philosophique. Dans la mesure où tout cela a de la valeur et demeure candidat à l’admiration, c’est de l’art au sens habituel, aussi douloureuse l’amputation du plaisir esthétique soit-elle.


[1] Sehasseh El M., Fernandez P., Kuhn S. et al. (2021), « Early Middle Stone Age personal ornaments from Bizmoune Cave, Essaouira, Morocco », Science Advances, 7.

[2] Ce qui donne à méditer sur les valeurs morales, politiques et esthétiques dominantes aujourd’hui – mais ne nous éloignons pas de notre sujet.

[3] Certains sont trop symétriques, trop nombreux et trop peu usés pour avoir été de simples outils ; ceux-là seraient donc des objets de prestige et des signaux d’aptitudes (indicateurs de la valeur sociale et cognitive de l’artisan).

[4] Une autre partie déplace et complexifie (plutôt qu’elle n’annule) le sentiment esthétique.

[5] Qui est, selon Nathalie Heinich, un paradigme plus qu’un repère temporel (Le paradigme de l’art contemporain, Paris, Gallimard, 2014).

Retrouvez toute la collection des Philosophoires au Salon de la revue les vendredi 14 oct. (20h-22h), samedi 15 (10h-20h) et dimanche 16 (10h-19h30) à la Halle des Blancs-Manteaux (48 rue Vieille du Temple, Paris 4e)

Editorial du n°58

18/04/2022

Editorial

Le clivage gauche-droite et son horizon anthropologique

Vincent Citot

               Le clivage gauche-droite, qui structure la vie politique dans tous les Etats modernes, est de plus en plus remis en question. Nombre d’acteurs et d’observateurs du jeu politique le disent dépassé et inefficient pour penser les grands enjeux du monde contemporain. Ces derniers seraient transpartisans parce que globaux et relevant de l’intérêt commun (réclamant une action coordonnée), transpartisans parce que techniques (non sujets à débat) et/ou transpartisans parce qu’étrangers aux catégories politiques traditionnelles. La question du réchauffement climatique, par exemple, est une bonne candidate au dépassement du clivage puisqu’elle concerne apparemment le monde entier et que son traitement requiert de multiples expertises – soustraites, par principe, aux consultations politiques. La façon dont les peuples réagissent à la « mondialisation » en est une autre : on peut être libre-échangiste de droite comme de gauche ; de même pour le protectionniste ou le souverainisme. Une certaine droite est favorable à l’immigration et au multiculturalisme (c’est bon pour le commerce) ; une certaine gauche aussi (car les frontières sont des formes d’exclusion et l’assimilation imposée une figure de l’intolérance). Une autre droite défend l’identité culturelle et nationale ; une autre gauche prend fait et cause pour la laïcité contre les religions importées. Il y a de plus en plus de droites et de gauches, de sorte que les nouvelles questions politiques semblent bousculer les clivages.

A bien y réfléchir, cependant, n’en a-t-il pas toujours été ainsi ? La liberté est-elle de droite ou de gauche ? Tout le monde veut être libre. On dit que la sécurité est un thème « de droite », mais les gens de gauche veulent-ils vivre en insécurité ? L’égalité sonne « de gauche », mais pour l’établir, cette même gauche prescrit des moyens qui affectent inégalement les individus (impôts progressifs, discrimination positive, etc.), tandis que la droite se contente volontiers d’un respect plus littéral de l’égalité. Ce qui oppose la droite et la gauche relève moins des grandes thématiques politiques que de leurs traitements. Les nouveaux enjeux n’échappent pas à cette règle. L’écologie de gauche réclame un bouleversement des rapports sociaux car c’est de l’avènement d’une société réformée et de mentalités nouvelles que pourrait advenir la solution. Celle de droite répond qu’il faut plutôt, à l’inverse, comprendre que la crise actuelle est le résultat de transformations passées, de sorte qu’un bon écologiste promeut plutôt une philosophie de la préservation et de la continuité. Pour lutter contre l’insécurité, un homme de droite veut rétablir l’autorité, tandis que son vis-à-vis de gauche cherche les moyens d’établir une société où la violence n’aurait plus court. En réalité, pour tous les sujets, même les plus neufs, nous retrouvons une opposition gauche-droite qui consiste, dans un cas, à vouloir résoudre un problème en transformant la société « dans le sens du progrès » ; dans l’autre, en cessant les « expérimentations aventureuses ». Le clivage gauche-droite semble assez bien correspondre à celui qui oppose progressisme (éventuellement révolutionnaire) et conservatisme (éventuellement réactionnaire) ; partisans du changement et partisans de la stabilité.

La gauche n’est conservatrice que quand elle joue en défense – pour prendre une image footballistique. Si les « acquis sociaux » sont menacés, elle les protège. Mais sa vocation essentielle est de transformer la société. Inversement, la droite peut prôner ici ou là « le changement », mais c’est surtout pour restaurer ce qui aurait été abîmé par la manie du changement. On peut dire de l’extrême gauche qu’elle souhaite un changement radical, et de l’extrême droite une réaction radicale contre cette tendance. A partir de là, toutes les ambiguïtés sont possibles, car le fascisme entend transformer la société (ce qui n’en fait pas un parti de gauche) et il existe un clergé conservateur dans les bureaucraties socialistes (ce qui ne suffit pas à le qualifier de droitier). Le libéralisme est de droite s’il restaure la libre concurrence contre les effets égalisateurs de l’Etat Providence, mais de gauche s’il casse des rentes, bouleverse les traditions et contribue à l’avènement d’une société affranchie des vieilles valeurs. Par ailleurs, certaines politiques centristes ont leur cohérence propre. Enfin, il n’est pas interdit d’être de droite sur certaines questions et de gauche sur d’autres. Et pour achever de complexifier l’opposition nécessairement schématique que nous proposons, il faut aussi noter que droite et gauche sont un rapport de force qui varie dans le temps et l’espace. Vouloir instaurer une monarchie parlementaire est une position d’extrême gauche dans les années 1780 en France (mais pas en Angleterre) et d’extrême droite dans la France du XXIe siècle. Même relativité spatio-temporelle pour des questions aussi diverses que l’abolition de la peine de mort, le droit de vote des femmes ou le mariage entre deux personnes de même sexe.

Si – malgré les nuances, les ambiguïtés et la complexité que nous escamotons ici – droite contre gauche signifie conservatisme contre transformisme, on peut se demander dans quelle mesure ce clivage n’est pas commun à toutes les sociétés et toutes les époques. Au Paléolithique, déjà, des partisans du changement devaient s’opposer aux partisans de la tradition. Certes, l’opposition est d’autant plus vive que le changement est une possibilité objective. Dans une société isolée, en économie de pénurie, où la volonté de nouveauté ne peut déboucher sur rien de concret, personne ne dépense inutilement son énergie à polémiquer ou militer. Chez les chasseurs-cueilleurs ayant peu ou pas de contact avec « l’extérieur », la stabilité de facto suscite un traditionalisme de jure. Mais à mesure qu’une société se modernise et se démocratise, le changement en cours devient le plus puissant mobile de valorisation du changement comme tel. La révolution industrielle, qui transforme de fond en comble les sociétés, fait naître partout l’opposition politique des adeptes du changement aux autres. Or aucune société – même « traditionnelle » – ne peut être complètement étrangère à la question de la nouveauté – subie ou décidée. Ne serait-ce que parce que l’homme est inventif, créatif et curieux. Dans la mesure où on la relie à ces caractères humains essentiels, l’opposition gauche-droite, élevée au rang de fait anthropologique, pourrait bien être de tout temps et de tout lieu. Peut-on imaginer une société qui soit absolument apolitique ? Peut-on imaginer une politique qui soit absolument étrangère à la question de la réforme ? Peut-on poser la question sans y répondre ?